Art Promotion sa

Mémoires de Lyvia Dengyel Salgo - 1925-2020


Épouse du peintre hongrois Tybor Dengyel

1913-2000
Rédigées en avril-mai 2015

Mon portrait réalisé par Tibor Dengyel

Huile sur toile – H 140 x L 83

Avant propos

Née à Budapest en 1925, Lyvia Dengyel-Salgó a connu, durant sa longue vie, les belles années de l’entre-deux guerres, puis en 1941 l’entrée en guerre de la Hongrie contre l’URSS, l’occupation allemande en 1944, l’invasion soviétique en 1945 et sa fuite vers l’Europe de Ouest en 1948.

Nous publions ce texte à sa mémoire, elle qui fut un témoin privilégié des bouleversements que connus l’Europe durant les 95 ans de sa vie.

Nous avons eu le privilège de côtoyer Lyvia Dengyel-Salgó durant ces vingt dernières années, et avons beaucoup appris sur cette période, pas si lointaine, mais si peu connue du grand public d’Europe de l’Ouest.


Avril 2021

Pierre Goffin
Asbl Association pour la Promotion Artistique

Préface

Préface de SE Monsieur Tamás Iván KOVÁCS, Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de Hongrie en Belgique

Chers lecteurs, chères lectrices,

En tant qu’Ambassadeur de Hongrie à Bruxelles, je suis honoré de pouvoir écrire cette brève préface aux mémoires autobiographiques de Mme Lyvia Salgó-Dengyel (1925-2020), veuve du peintre Tibor Dengyel (1913-2000).

Ces dernières années, Art Promotion sa et l’Association pour la Promotion Artistque Asbl ont consacré plusieurs expositions au peintre. Pierre Goffin, président de la société, passionné de culture hongroise et régulier visiteur de l’Institut culturel hongrois promeut depuis plusieurs décennies l’artiste tant en Hongrie qu’en Belgique, au point d’en faire une affaire personnelle. Parmi les expositions organisées ces dernières années, l’Institut a accueilli une rétrospective de l’œuvre de Tibor Dengyel en 2013. C’est justement lors de l’inauguration de cette exposition, organisée à l’Institut et lors du vernissage qui eut lieu à la Banca Monte Paschi, que j’ai eu l’occasion de faire la connaissance de sa veuve, cette dame exceptionnelle Madame Lyvia Salgó-Dengyel.

Les extraits qui suivent ouvrent autant de fenêtres sur le grand puzzle qu’est le passé. Au travers de ce regard sur la période ayant précédé la Seconde Guerre mondiale et celle qui l’a suivie, un destin individuel s’esquisse.

En effet, l’histoire de Mme Lyvia Salgó-Dengyel est unique, comme l’est le sort de chacun, mais elle n’est malheureusement pas singulière dans le contexte orageux de la Hongrie et de l’Europe centrale et orientale du XXème siècle.

C’est la tragédie de notre nation – comme l’écrit Lyvia – que depuis le milieu du siècle dernier, notamment du 19 mars 1944 jusqu’au 2 mai 1990, la Hongrie ne fût pas un Etat souverain. C’est d’abord par l’Allemagne nazie que fut occupée notre patrie, pour ensuite être envahie par l’armée de l’Union Soviétique.

Nombre de Hongrois aimant leur patrie, mais ayant choisi la liberté et la sécurité ont été contraints de quitter la Hongrie à cette époque. Lyvia Salgó-Dengyel a subi le même sort à un très jeune âge. Toutefois, en fiers Hongrois, sa famille et elle se sont relevés partout où le destin a décidé de les amener. Comme elle l’écrit dans ses mémoires, sa vie n’a pas toujours été facile, mais elle a toujours été intéressante. Son mariage avec Tibor Dengyel lui a, entre autres, révélé le côté bohème et joyeux de la vie, complétant sa passion pour la musique avec celle de la peinture. Et quand bien même elle a parfois dû faire face à des difficultés existentielles, elle a été jusqu’à la fin de sa vie fidèle à l’image que tant gardent d’elle, celle d’une grande dame.

Bruxelles, mars 2021

Mémoires

Quelques instantanés d’une vie

2013

Introduction

Celui qui n’a jamais dû quitter son habitation et tout laisser derrière lui, ne peut pas savoir ce que signifie de simplement claquer la porte d’un appartement de cinq pièces avec tout son contenu, le résultat du travail de toute une vie. On ne pense qu’à fuir les atrocités et on n’a pas le temps de regretter le passé.

Ce n’est qu’après que l’on se rend compte de tout ce que l’on a perdu et c’est alors que cela commence à faire très mal, et de ce mal là on ne guérira jamais.

Au début, on a encore un peu d’espoir de pouvoir oublier, mais après on se rend vite compte que ce n’est qu’une illusion.

La douleur reste éternelle…

Ma vie avant 1944

Budapest

Mon enfance se déroulait dans une atmosphère insouciante, gaie et heureuse avec ma mère et une gouvernante qui a été avec nous pendant 10 ans, devenant ainsi un membre de la famille.

Je n’ai vu que rarement mon père qui voyageait en Europe pour affaires. Mon oncle, étant célibataire, a habité chez nous pendant une dizaine d’années. Je l’adorais et c’était réciproque. Il me conduisait à l’école chaque matin, chemin qui le menait à son bureau.

Nous passions de merveilleuses vacances chaque été, souvent en Italie (aujourd’hui Croatie), mais la Hongrie n’était pas négligée pour autant. Des promenades enchanteresses, des forêts romantiques. Tandis que je me délectais des différentes piscines ouvertes aux jardins fleuris, ma mère faisait des cures de bains et buvait l’eau bénéfique pour la santé. Mais cette vie insouciante prit fin quelques années plus tard avec la guerre.

Juin 1941

La Hongrie entre en guerre contre l’URSS

La qualité de la vie culturelle était de très haut niveau. On n’avait qu’à choisir entre concerts, opéras ou théâtres, nous n’étions jamais déçues. J’adorais particulièrement les décors d’opéras qui étaient magiques. Je n’oublie pas la mer calme ou agitée de « Madame Butterfly », la rue parisienne pleine de vie aux couleurs chatoyantes de « La Bohème » ou les grands arbres aux feuilles tremblantes des jardins fleuris de « Faust » et tant d’autres…

J’étudiais le piano depuis mes 6 ans, j’entendais parler allemand déjà au berceau et à 8 ans une charmante dame parisienne m’a inculqué le français. Mon père voulait absolument que je parle plusieurs langues – « c’est indispensable pour ta vie future » - disait-il. Comme il avait raison ! Je lui en serai éternellement reconnaissante. Deux ans avant la guerre, j’étais inscrite chez les sœurs de « Notre-Dame de Sion », qui donnaient différents cours, débouchant sur un diplôme de capacité. On pouvait choisir entre : histoire, littérature, grammaire, soit en français soit en anglais ou secrétariat. Après deux ans d’études, j’ai eu mon diplôme d’anglais avec distinction, qui aurait dû être homologué à Sheffield (R-U), mais c’était impossible à ce moment vu les troubles d’avant-guerre. C’est pourquoi la simple remarque sur le diplôme : « délivré en temps de guerre ».

À partir de 1944

Etant pianiste, pour moi, ma vie était toute tracée : obtenir un diplôme d’artiste.

J’étais suive par le meilleur professeur et pédagogue, à tel point que j’ai pu assimiler un an de matière en quatre mois. Ce rêve fut brutalement interrompu en 1944.

Invasion allemande – 19 mars 1944

Par un dimanche ensoleillé, j’assistais à une matinée de piano de Beethoven. Toute imbibée de musique, à la sortie, j’aperçois mon père, très énervé, qui nous attendait et disait : « dépêchez-vous, les Allemands ont envahi la ville. Il faut vite rentrer, personne ne sait ce qui nous arrivera. » Les rues étaient complètement vides et nous allongions nos pas vers le métro. Effectivement, la peur, l’angoisse, la souffrance ont rempli notre proche avenir. D’abord, le triste sort des Juifs, que tout le monde connaît, et qui étaient – entre autres horreurs – conduits en pleine nuit au bord du Danube, pour y être fusillés et jetés dans le Danube (une de mes très bonnes amies ainsi que sa mère étaient parmi les victimes). En même temps, les bombardiers lourds américains commencèrent à détruire massivement la ville. Nous dormions tout habillés de peur de devoir courir à la cave au moment où les sirènes commençaient à hurler.

L’armée allemande dans une rue de Budapest

Soldats soviétiques après la prise de Budapest en février 1945

Et ce qui devait arriver, arriva. Angoissés et terrorisés, depuis la cave où nous étions réfugiés, nous entendions les bombes tomber, un bruit de plus en plus fort, pendant que la petite radio annonçait « des avions lourds américains bombardent le Bois et les environs », c’est là où nous habitions. L’obscurité était totale et un dernier bruit énorme, la bombe était tombée sur notre maison (une grande maison solide de 4 étages), qui a disparu au-dessus de nos têtes et jusqu’à la cave. Puis, le silence. Quelqu’un a crié : « la maison est en feu ». Tout le monde commençait à crier et à se précipiter vers la porte qui n’existait plus. Personne ne pouvait sortir, empêché par les gravats qui fermaient complètement l’issue. Les hommes commencèrent à déblayer ce qui nous a permis, après des heures, de ramper vers la lumière. Il y avait tellement de poussière dans l’air, que l’on ne pouvait pas respirer. Alors ma mère, qui était la prévoyance même, commença à distribuer des gants de toilette humides (qu’elle avait préparés à l’avance) que nous mettions contre notre bouche et notre nez et cela nous aidait quelque peu. Après avoir pu sortir, j’arrivais à un escalier en ruine où j’ai vu un homme traîner derrière lui, dans la boue, un tailleur en soie (shantung) blanche. C’était le mien qui a été livré par notre firme le jour précédent. J’aurais voulu pleurer, mais je n’avais plus de larmes. Etant donné que la grande partie de notre appartement était en ruine, il fallait trouver un autre endroit pour loger. Cet endroit était le grand immeuble du bureau – au coeur de la ville - avec deux locaux séparés, un où l’on gardait le stock et où l’on travaillait tous les jours, l’autre un beau salon où l’on présentait la collection. Il y avait trois caves en béton contre les attaques aériennes. Les bombardements incessants devenaient tellement intenses que nous étions obligés de descendre définitivement dans la cave, le 24 décembre 1944, pour y rester jusqu’à la mi-mars !

Entre temps, les Russes étaient entrés en ville. Les Allemands se sont retranchés dans un hôtel de luxe qui se trouvait vis-à-vis de notre bureau et ont placé un canon sur un coin près de nous. J’étais convaincue que nous ne pourrions pas survivre à cette situation. Deux ennemis face à face en ville et le troisième dans les airs. C’était démoniaque. Les Russes gagnant du terrain, on voyait les Allemands très énervés, rentrer et sortir de l’hôtel et un « beau matin » ils plièrent bagage et partirent vers Buda, (côté colline de la ville où se trouve le château, anciennement résidence du gouverneur – actuellement magnifique musée de peintures). Les Allemands, étant arrivés à Buda, ont fait exploser tous les ponts. Des personnes et les trams sont tombés dans le Danube par -20° ! Un de mes amis, qui se trouvait dans un tram, tomba également dans l’eau glacée, ainsi que les chevaux, tous emportés par le fort courant du Danube. Il fut sauvé, mais attrapa une maladie des reins qui l’emporta peu de temps après. Il avait 26 ans. Entre temps, la bataille faisait rage sur la colline, mettant les deux protagonistes face à face, et mon oncle, qui était soldat, a été tué pendant ces derniers affrontements. Pendant ce temps, nous avions faim et rien à manger. Mais, avant le siège, ma mère, ingénieuse comme toujours, lorsque nous étions encore dans notre appartement, avait grillé des tranches de pain et les avait mises dans un sac en toile « pour les mauvais jours ». C’est lorsque nous étions réfugiés dans la cave, qu’elle nous a distribué une tranche par personne et par jour. C’est cela qui nous a sauvés. Après une des grandes batailles, un soir, deux Russes sont descendus dans la cave et ont désigné, avec leurs bras étendus, quelques hommes, entre autres mon père et un de nos amis, pour les suivre. Ils disparurent dans la nuit, nous laissant désespérées, ne sachant pas, si nous pourrions les revoir un jour. Quatre jours plus tard, ils sont réapparus en s’enfuyant de leur captivité d’une caserne des environs de Budapest. Nous n’avons jamais su ce qui leur était arrivé là-bas, ils ne désiraient pas en parler.

Un autre soir, un jeune Russe fit son apparition dans la cave. Une dame âgée, locataire de l’immeuble, employait une jeune fille chez elle. La fille était cachée et le Russe la réclamait à la dame, qui faisait semblant de ne pas le comprendre. Le Russe prit son arme et voulut tuer la dame. Là-dessus, la fille se montra et le Russe l’a traînée dans la salle des chaudières. Après un certain temps, ils sont revenus et le Russe s’en alla. Le lendemain il est revenu et portait dans ses bras un rouleau de soie qu’il avait pillé dans un magasin quelque part, et le donna à la fille ! Tous les appartements et tous les magasins étaient ouverts et tout le monde pouvait y prendre ce qu’il voulait. C’était hallucinant. Il y avait mille choses similaires qui nous faisaient froid dans le dos.

Les premières troupes de soldats russes venaient du Caucase, donc le savoir-vivre leur était complètement inconnu, ils étaient analphabètes et faisaient des choses inimaginables. Ils étaient comme des bêtes qui sortaient de leur cages. Une bande de sauvages. Par exemple : ils rentraient dans un magasin, faisaient le feu sur le parquet, puis, avant de quitter, ils vidaient tout et partaient en laissant brûler le feu, le parquet et plus tard toute la maison… Les habitants ne voyaient rien puisqu’ils étaient dans la cave.

Fin des hostilités – Occupation soviétique

Budapest en ruines en 1945

Printemps 1945

Lorsque nous sommes sortis pour la première fois de la cave vers 11 heures du matin, il faisait nuit noire. Le ciel était tellement bas, on aurait dit qu’il tombait sur nos têtes. La poussière de tous ces projectiles pendait dans l’air. On sentait l’odeur de la guerre et celle des cadavres d’hommes et de chevaux qui jonchaient les rues. Notre belle ville était en ruine. Je vois toujours un homme qui, avec un couteau, courait vers un cheval et en coupait un gros morceau de la cuisse pour le dévorer. Oui, la guerre était finie (la radio l’avait annoncé, donc il fallait le croire). Mais comment rebâtir une nouvelle vie de ces ruines et comment soigner ces blessures invisibles qui marqueront les hommes pour ne jamais s’effacer ? Grâce à mon père, notre appartement a été plus ou moins retapé de façon à pouvoir y retourner pour voir ce qui nous restait, puisque le 8 mai 1945 on annonçait LA PAIX ! Je ne pouvais pas y croire. « Il n’y aura plus de bombes ? Il ne faudra plus jamais courir à la cave ? » demandais-je tout le temps à ma mère. Cette paix, pour nous, avait malheureusement un côté noir : les Russes se sont installés dans notre pays. Nous n’osions plus sortir dans la rue, de peur de se faire violer par ces rustres. Pour eux c’était égal, si c’était une jeune fille de 10 ans ou une vieille personne de 80 ans. La toute nouvelle chose qu’ils ont inventée, c’était d’envoyer des soldats loger chez des familles. C’était vraiment l’horreur. Un major a été placé chez des amis, qui, après un certain temps, trouvaient prudent de l’inviter à dîner. Il était très content mangeait de bon appétit et buvait son café après le repas. Avant de quitter la table, il se tourna vers l’hôtesse et dit : « votre service à café me plaît beaucoup et je voudrais l’emporter. Veuillez l’emballer pour que je puisse le prendre avec moi ! ». Et tout heureux, il partait avec son butin.

Prisonnier en avril 1945 par l’Armée soviétique, mon mari réalisa, durant son court séjour dans un camp, des croquis de ses compagnons d’infortune

Monument aux soldats soviétiques morts durant la bataille de Budapest

1946

Mon père ne voyait aucune solution d’une vie future décente sous l’occupation russe. Il désirait absolument reprendre le travail, c’est-à-dire voyager avec une nouvelle collection. Pour cela, il avait besoin d’un visa et d’une permission spéciale délivrés par l’attaché commercial britannique. Ce dernier avait un « bureau », plutôt une sorte de « tente » provisoire au bord du Bois, entouré de quelques soldats qui avaient l’air assez pacifiques. Il fallait donc que je me « sacrifie » et que j’explique à l’attaché le « comment » et le « pourquoi » de cette demande. Je ne me sentais vraiment pas à l’aise avec mon « tout nouvel » anglais. J’ai pris une grande respiration et commençais à parler… Une demi-heure après je sortais, toute fière, avec la permission d’un séjour de trois semaines à l’étranger. Il faut savoir que si un membre de la famille quittait le pays les autres membres n’obtenaient aucune autorisation de ce genre, ni de passeport. Mon père est donc parti et pendant ce temps, je le remplaçais au bureau. Mais la situation se dégradait. Les autorités venaient d’être informées que mon père avait - par ses relations haut-placées et lors de son dernier voyage en Belgique, obtenu 6 visas d’établissement pour ses meilleurs coupeurs. Pour cela, il méritait la prison. C’est ce que j’ai compris au bureau.

Je n’ai pas réfléchi longtemps et je lui ai écrit une lettre comme quoi j’étais très contente que sa santé se soit améliorée et je l’encourageais d’y rester encore pour son bien. Il a, bien sûr, compris qu’il ne pouvait plus rentrer en Hongrie. Puis, il nous a fait dire par une amie, de tout essayer pour pouvoir sortir du pays. C’était plus facile à dire qu’à faire. Les soucis commençaient à s’accumuler au-dessus de nos têtes et pour mon père, cela signifiait la perte de son établissement à Budapest.

La fuite

1948

Je reprenais mes cours de piano. Entre temps, notre ami cherchait des relations qui pouvaient éventuellement déboucher à quelque chose de positif. Un jour, quelqu’un lui a fait connaître un jeune homme, qui organisait des voyages de Budapest à Vienne dans le wagon du courrier russe de l’Arlberg Express. Pour ces « excursions » il était habillé en short pour que les gens le prennent pour un touriste. La date de notre départ fut fixée au 11 août 1948. Nous étions en juin et arrivait le jour de mon dernier cours de piano. A la fin de la leçon, mon professeur – qui n’était évidemment pas au courant de nos plans – me faisait savoir qu’il avait l’intention de me faire jouer le concerto en la majeur de Mozart avec orchestre, la prochaine saison. J’étais anéantie. Tous mes espoirs étaient perdus…Notre ami, qui nous a accompagné, avait l’intention de retourner en Hongrie, mais c’est devenu impossible. Ce n’était pas une excursion d’où l’on aurait pu retourner quand on en avait envie, c’était une fuite longue, compliquée et dangereuse. Il fallait d’abord nous rendre dans une ville au nord-ouest de Budapest, ce n’est que là-bas que nous pouvions monter dans le train. Pour ce petit voyage un ami lui a prêté une voiture. Arrivant à la gare, il n’y avait heureusement ni policier rouge, ni soldat russe. Nous devions nous rendre au début du train (hors station) et vite monter dans le wagon du Train Postal où les vitres des deux portes avaient déjà été « préparées », c’est-à-dire que les Russes y avaient collé des cartons pour que les soldats hongrois, qui se tenaient sur les marches avec fusils à l’épaule, ne puissent pas voir à l’intérieur. Il était midi et le soleil tapait très fort. Le train tardait à partir. Il y avait 2 heures d’attente. Une horreur ! Nous étions six personnes là où normalement il n’y avait place que pour deux. On avait difficile à respirer, 40° et un soleil de plomb. J’étais la seule qui avait une montre et j’ai écrit avec ma main dans l’air les minutes qui restaient encore jusqu’au départ du train. Enfin le train démarra. Après un certain temps, un des Russes est venu nous dire que si nous voulions voir la barrière de la frontière, c’était le moment. Tout le monde se précipita dans le grand wagon pour dire « adieu » à notre pays. C’était très émouvant.

Vienne

C’est à 21 heures 30 que nous sommes arrivés à Vienne. C’était hors de la station et en pleine obscurité. Il fallait vite courir vers la sortie. Une fois dans la rue, fatigués, épuisés, nous ne savions pas où aller. C’est alors que je me suis souvenue du nom de l’hôtel où mon père avait l’habitude de loger. La chambre était grande avec des meubles de jardin…Avant de quitter notre appartement à Budapest, ma mère avait pris un vieux passeport, depuis longtemps périmé et avait dit « c’est mieux que rien et qui sait, cela peut peut-être encore nous servir à quelque chose ». A la réception l’on a accepté le passeport, mais le lendemain quand la police est venue voir les papiers des nouveaux clients, à la vue de notre passeport, nous avons été emmenés au bureau de police et peu de temps après nous avons été conduits à la grande prison pour passage illégal de la frontière. Le jeune homme en short, qui nous suivait partout, est entré dans une épicerie pour y acheter des petits pains fourrés et des fruits. En donnant le paquet à ma mère, il a murmuré « je ferai le nécessaire » puis nous ne l’avons plus vu. Entre temps, nous étions conduits au milieu de la chaussée, entre deux gendarmes armés, comme de grands criminels. Nous n’avions pas exactement le profil, habillées de coquettes robes d’été, sandales aux pieds. En attendant la vérification de nos papiers, notre ami était conduit dans une cellule provisoire où je pouvais jeter un coup d’œil et je dois sourire, si je repense au « tableau » : il était couché sur une planche sur le dos, son costume bien arrangé, les mains derrière la tête, la tranquillité même, comme quelqu’un qui n’a absolument aucun souci. Puis il a été conduit dans la partie « homme » de la prison et nous ne l’avons plus vu. Ma mère et moi, sommes passées par d’innombrables grilles dans une immense prison, éclatante de blancheur. La gardienne également en blanc de la tête aux pieds. La salle où elle nous a conduites était très grande et dans un coin il y avait six personnes pour le même « crime » que le nôtre. Dans l’autre partie de la salle il y avait des femmes d’une morale douteuse, qui avaient été prises par la police dans une rafle la nuit précédente. Puis, à midi, notre petit groupe a été obligé de sortir dans le couloir où bouillonnait un affreux liquide gris avec quelque chose comme des chenilles. Bhouh… Je ne voulais pas prendre la gamelle, mais ma mère m’encourageait à le faire et disait que nous les déposerions sur la table, de retour dans la salle. Nous avons profité de nos pains et fruits, tandis que les autres se sont jetées sur nos soupes en criant : « vous ne mangez pas ? Alors, je la prends… ». Dans notre petit groupe il y avait une femme qui avait « perdu la tête » elle tirait inlassablement les fils d’un morceau de toile, en attendant depuis des mois que quelqu’un s’occupe d’elle. L’autre, après y avoir passé déjà six mois désespérait…Entre temps, notre homme en short n’était pas resté inactif et le lendemain, la gardienne en ouvrant la grille, a crié notre nom et dans le couloir elle nous a dit : « Vous êtes libres !». En bas, en attendant que l’on nous donne nos papiers, notre ami était là et, à trois, nous avons pu franchir l’immense porte cochère qui, pour nous, signifiait la liberté, tandis que l’huissier à l’énorme moustache nous criait « au revoir mes amis ! », nous, en sortant, sommes entrés dans le plus beau rayon de soleil que je n’ai jamais vu ! Tout d’abord, notre direction a été une pâtisserie pour nous délecter d’un chocolat chaud et un de ces gâteaux de rêve, dont les Autrichiens (et les Hongrois) ont le secret. Après avoir vu le monde un peu moins cruel, nous nous sommes mis à la recherche de la zone américaine, et une pension pour y rester – combien de temps ? – mystère ! Le lendemain, je me suis mise en route vers l’ambassade de Belgique, avec le vieux passeport. Le diplomate qui m’a reçue aimablement, après avoir examiné le passeport, m’a déclaré qu’il étant dans l’impossibilité de me donner satisfaction, comme il s’agissait d’un vieux passeport depuis longtemps périmé. J’étais désespérée et ne savais pas vers qui me tourner. Le jour suivant, risquant le tout pour le tout, je me suis de nouveau retrouvée à l’ambassade et en regardant le même monsieur avec des yeux de chien battu, (je crois qu’il a eu pitié de moi), j’ai enfin eu le cachet tellement désiré tandis qu’il me disait : « ne dites à personne que c’est moi qui ai mis le cachet dans votre passeport ». Je l’ai gentiment remercié et suis rentrée le cœur léger à la pension. Nous sommes restés quatre semaines à Vienne.

Salzbourg

Notre prochaine destination, nouveaux problèmes, nouvelles difficultés.

Pour pouvoir monter dans le train et quitter l’Autriche, nous avions besoin des cartes d’identité autrichiennes. Notre homme en short entrait en action et après quelques jours, il nous apportait ces cartes à la pension. Il fallait apprendre les coordonnées différentes de ces étrangers.

Ma mère était devenue professeur de piano. Pour elle c’était difficile à cause de la langue qu’elle ne maîtrisait pas. Il ne lui restait que l’espérance de ne pas être interrogée. En tout cas, nous ne nous connaissions pas et n’étions pas assises l’une près de l’autre. La frontière russo-américaine se situait sur le pont du fleuve Enns où le train s’arrêtait à 1 heure de la nuit, pour permettre aux russes de monter pour le contrôle des voyageurs. Mon vis-à-vis était un représentant autrichien, qui me racontait qu’il faisait ce trajet plusieurs fois par semaine et il arrive que des personnes sont obligées de descendre, direction : Sibérie. Cela dépendait si les Russes ont assez bu avant la montée dans le train. Tout d’un coup je me sentais beaucoup moins rassurée et j’avais comme un petit coup de froid dans le dos. Arrivant dans notre wagon, le Russe a commencé à examiner les cartes et les remettait à chacun la sienne. J’étais la dernière. Au lieu de me remettre ma carte, il est parti avec. Je me suis déjà vue dans les steppes de Sibérie… Après une quinzaine de minutes, j’ai récupéré ma carte, mais ces 15 minutes me semblaient une éternité et je me demande encore aujourd’hui ce que signifiait ce petit intermezzo. Le train est arrivé à 4 heures du matin à Salzburg. Ne sachant pas où aller, nous avons décidé de rester dans la salle d’attente pour dormir un peu. Quand tout à coup, une petite femme âgée nous a demandé si, par hasard, nous ne cherchions pas une chambre. C’était le plus beau cadeau que l’on pouvait nous faire. On l’aurait embrassée ! Elle nous a donné un nom et une adresse et dix minutes plus tard, un taxi nous a déposés devant une coquette petite maison où une autrichienne bien en chair, avec un grand tablier blanc, nous souhaitait la bienvenue et nous conduisait à nos chambres. Nous pouvions enfin dormir…Nous étions obligés de rester six semaines à Salzburg et avons habité dans un hôtel connu, mais cher, ne trouvant pas de pension à notre goût. Entre temps, nous étions en octobre et le temps tournait au froid. Notre ami ne se sentait vraiment pas à l’aise sans manteau et, en plus, son voyage devait se terminer ici, n’ayant pas de visa pour rentrer en Belgique. Sa situation devenait critique. Un jour, nous avons été informés qu’il y avait une personne qui « fabriquait » des visas de sortie avec des pommes de terre crues, qui ont la particularité de ne pas s’effacer – mais il faut que je sois courageuse - cela se passe dans un café « louche » loin du centre. Après avoir payé pour notre sortie de l’Autriche, je suis rentrée plus ou moins soulagée de ce café. Le jour de notre départ est arrivé et notre ami nous a accompagnées à la gare. Nous étions très tristes pour lui. Il nous avait tellement aidées en tout et nous avions le sentiment de l’abandonner. Je vois encore sa silhouette sur le quai devenant de plus en plus petite jusqu’à sa disparition dans le brouillard. Son histoire continue, mais ce n’est plus dans notre vie. Il est resté à Salzburg après maintes péripéties et a refait sa vie là-bas.

Zürich

C’est avec un grand soupir de soulagement que nous sommes montées dans le train qui devait nous conduire à Zürich. Ma mère se demandait comment le contrôleur acceptera notre passeport. La photo représentait ma mère et moi – à 5 ans – avec de longues boucles. Nous étions seules dans le compartiment. Ma mère disait : « tu ferais peut-être mieux de te coucher et je te couvrirai ». Nous attendions le moment fatidique. Le contrôleur, qui avait l’air aimable, regardait longtemps la photo, puis moi, et disait : « Eh bien, vous avez bien grandi ! » et tout cela avec un grand sourire. Nous qui avions été habituées à d’autres contrôles, cela nous a fait beaucoup de bien. Entre temps, mon père avait pris contact avec notre représentant à Zürich en lui demandant de venir nous chercher à la gare et commander deux billets d’avion pour Bruxelles. Il était, bien sûr, présent à la gare où la foule était impressionnante. Je ne sais même pas comment nous nous sommes reconnus. En tout cas pour lui c’était plus facile que pour nous. Arrivées à Zürich vers 20 heures, notre représentant nous a conduites au cœur de la ville, merveilleusement illuminée. Après tout ce que nous avions vécu, la guerre, l’obscurité, la peur et en voyant cette ville libre et illuminée, ma mère n’a pas pu retenir ses larmes.

Arrivée à Bruxelles

Le lendemain, nous montions dans un petit avion à hélices. Bientôt, nous nous trouvions au cœur d’une tempête. J’étais assise près d’une aile que je voyais bouger, trembler et entendais des craquements sinistres. C’était mon premier vol et j’avais très peur. Je me demandais à quoi servaient toute la souffrance et toutes ces vicissitudes, si nous devions mourir avant d’arriver à notre destination toute proche. En réfléchissant à tout cela, je fermais les yeux et j’attendais l’horreur, quand tout à coup, j’ai vu le sol venir doucement à notre rencontre. On arrivait à Bruxelles, il pleuvait… et en sortant de l’avion j’ai aperçu mon père qui venait vers nous avec un énorme bouquet de roses rouges.

C’était le 22 octobre 1948

Ma nouvelle vie

Un mois après mon arrivée à Bruxelles, j’avais l’intention de reprendre mes études de piano et après avoir étudié le programme exigé, je me suis présentée au Conservatoire pour les examens. Le petit jardin devant l’entrée était plein d’étudiants et de valises. En les voyant, je me posais des questions. Le moment fatidique est arrivé et l’huissier, avant de m’ouvrir la porte m’a demandé : « où sont vos notes ? » J’ai répondu : « je n’en ai pas, je joue par cœur ». A ce moment-là mes idées se sont éclaircies et je trouvais la réponse : les valises contenaient des notes. Se servir de notes devant un jury en Hongrie, c’est absolument inimaginable et impensable. J’étais la seule à jouer par cœur !

J’ai joué devant un jury très nombreux. Après une attente de 1h30 environ, on est venu me dire que malgré que j’avais réussi, je ne pouvais pas être admise parce qu’il y avait trop de belges… Je suis rentrée à la maison en pleurant la fin de mon rêve.

La vie avec mon père

Portrait de mon père réalisé par mon mari

Mon père était administrateur directeur d’une grande firme de couture en gros (manteaux et tailleurs dame) pendant une trentaine d’années. Il présentait sa collection partout en Europe et faisait ses achats de fourrures à Londres. Etant le doyen du métier, il était connu et apprécié pour son savoir-faire et son goût. Il se faisait beaucoup d’amis qui, avant la guerre venaient, avec plaisir, à Budapest pour y passer quelques jours insouciants et dans beaucoup de cas, tardaient de rentrer chez eux. Plus tard, à Bruxelles, j’accompagnais mon père, deux fois par an, à l’étranger où nous présentions la collection avec deux mannequins pendant trois semaines. Très beau souvenir. Après, arrivait la nouvelle saison et l’achat des modèles dans les maisons de couture à Paris et à Rome. Voyager avec mon père était un vrai délice étant donné qu’il était connu partout et servi comme un grand seigneur. Dans les hôtels, la meilleure chambre, dans les maisons de couture, le premier rang. Il lui est même arrivé qu’Yves Saint-Laurent, lors d’un défilé, lui ait apporté une chaise plus confortable, parce que ces petites chaises dorées, habituelles dans les maisons de couture, étaient un vrai supplice quand il s’agissait d’être assis pendant des heures, surtout en juillet par 40° de chaleur. Ces voyages restent inoubliables pour moi. L’entrée dans ces maisons était strictement contrôlée. Lors des défilés, on pouvait, bien sûr, écrire tant que l’on voulait, mais il était interdit de tirer une ligne, encore moins, de dessiner. Si quelqu’un était pris il était immédiatement mis dehors et ne pouvait plus jamais revenir dans cette maison. La dessinatrice qui nous accompagnait devait être très forte. Après le défilé on rentrait en vitesse à l’hôtel pour qu’elle puisse commencer son travail et se rappeler avec notre aide de tous les détails figurant sur les modèles que nous avions choisis ainsi que d’autres. Dans le cas contraire, le coupeur n’aurait pas pu reproduire son patron. Toutes les coutures du modèle avaient leur importance.

Notre travail était donc très fatigant, étant donné que nous visitions trois maisons par jour. Un monde à part où nous avons vécu pendant ces séjours à Paris et à Rome. Les défilés où nous étions présents étaient d’abord montrés aux acheteurs et un modèle coûtait une fortune. Quand mon père m’a amenée pour la première fois chez Balenciaga, on ne voulut pas me laisser entrer. Il a dit que j’étais sa fille, ils ne l’ont pas cru – j’étais obligée de montrer ma carte d’identité ! J’ai eu une place au premier rang à côté de Marlène Dietrich qui, en robe-manteau marine et gants blancs jusqu’aux coudes, était très élégante ! Balenciaga était son couturier !

A Bruxelles, je travaillais dans chaque département et ainsi, avoir un diplôme de coupe m’était indispensable. Je savais toujours de quoi je parlais quand, par exemple, il me fallait réceptionner la marchandise livrée par nos ateliers extérieurs. Plus tard, je faisais également des patrons de robe. Mon père était d’abord réticent, mais mon enthousiasme a gagné et lors des premiers défilés mes robes avaient un tel succès qu’après la période de vente, je me suis retrouvée avec une commande de 400 robes ! Le grand problème était le manque d’ouvrières. Il faut savoir que les ouvrières qui travaillent le manteau et le tailleur ne sont pas qualifiées pour travailler la robe. Or, en pleine saison, les ouvrières sont déjà placées et il n’y avait que moi – qui étais disponible… Sauf que, être debout toute la journée, un travail dur auquel je n’étais pas habituée, et après quelques semaines, mes robes m’ont conduite tout droit vers une grave dépression nerveuse, qui dura deux ans. D’abord au lit, puis en Suisse, j’ai essayé de me retaper, mais après une rechute : retour en Suisse, en période sans neige (cela compte beaucoup) épouvantable. Après être rentrée à Bruxelles, je continuais avec un excellent médecin en Allemagne, qui m’a enfin extraite du gouffre dans lequel je me débattais depuis de longs mois. En tout cas, plus tard, la fabrication des robes a continué - sans moi – avec succès.

Ma vie avec une artiste

Mon mari

Ma vie n’était pas toujours facile, mais toujours intéressante. Mon mariage avec un artiste peintre m’a fait connaître, à côté de bons moments, la bohème, la difficulté de l’existence et l’émerveillement devant l’art de la peinture. Le peintre qui faisait toujours ce qu’il adorait faire, toujours de bonne humeur, était très facile à vivre et – miracle (!) me conduisait – après sa disparition – et après quelques années d’études, également sur le chemin chatoyant des couleurs. Après plusieurs années, la vie m’a conduite sur différents chemins. Je suis devenue esthéticienne diplômée, avec un beau salon où j’ai trouvé la vie agréable avec une sympathique clientèle et la confiance qu’elle m’a accordée. Pour les massages du corps j’ai travaillé avec une amie esthéticienne. Seule, cela aurait été trop difficile physiquement. Mais, malheureusement, après un certain temps, mon amie a dû quitter Bruxelles, son mari étant diplomate, ils étaient déplacés de Belgique. Je ne pouvais pas continuer parce que la clientèle devenait trop importante pour une seule personne. Ne trouvant pas de solution qui m’aurait plu, j’ai dû quitter mon salon le cœur lourd. J’ai longtemps réfléchi, et enfin je me suis présentée dans un bureau intérimaire comme secrétaire de direction multilingue où j’ai dû passer mille et un examens pour prouver mes capacités. Je me sentais enfin libre de pouvoir quitter, si la place ne me convenait pas. J’ai travaillé dans des bureaux d’avocats américains, ce qui, au début, n’était pas une mince affaire. Ayant étudié originellement la langue anglaise pure et belle, j’avais difficile à m’habituer aux accents, parfois incompréhensibles – au dictaphone – des patrons américains, (surtout ceux qui venaient du Sud). Un jour, j’ai été envoyée dans un bureau élégant avec trois patrons et une secrétaire. Le premier jour, j’étais déjà au bureau, avant l’heure, avec la dame avocate (d’origine allemande – à qui j’ai également fait sa correspondance allemande -, mais qui faisait son droit à New York) quand mon futur patron a téléphoné en demandant à sa collègue : « Alors comment est la nouvelle fille ? » et la réponse de la dame : « ce n’est pas une fille, c’est une lady ». Le deuxième jour, mon patron m’a demandé si je ne voulais pas rester comme « fixe » ? J’ai demandé deux jours de réflexion, ne sachant pas si je voulais me fixer de nouveau. Et je suis restée six ans… « Au moins maintenant j’aurai quelqu’un qui corrigera mes fautes d’orthographe » a dit mon patron. Les tonnes de travail qu’ils m’ont distribuées chaque jour, m’ont complètement épuisée. Etre rapide au travail ne paie pas toujours. C’était ma dernière place. Ils ne voulaient pas me laisser partir, mais j’avais besoin de retrouver la paix intérieure avec un mari que j’adorais et que je retrouvais chaque soir de bonne humeur, devant son chevalet. Mon mari était un excellent peintre et aurait aussi fait un très bon écrivain. Il avait une plume colorée et aussi parfois pleine d’humour. « Si je n’étais pas peintre, je serais écrivain » disait-il. Un jour il a reçu une lettre d’un ami, qui travaillait à la radio « Free Europe » à Munich, en lui demandant s’il serait d’accord d’écrire régulièrement des articles littéraires pour la radio de tout ce qu’il a trouvé intéressant pendant les longues années qu’il a passées à l’étranger. Il a accepté cette demande, malgré le peu de temps qui lui restait en dehors de la peinture. C’est ainsi qu’il a envoyé pendant plusieurs années entre 70 et 80 articles et faisait connaître les curiosités de différents pays où il passait plus ou moins de temps. Des articles savoureux et intéressants pour tout le monde. Les originaux sont actuellement en la possession du Balassi Institute Brussels (Institut Culturel Hongrois). Je dois ajouter que le portrait du Roi Baudouin, qui a été réalisé par mon mari en 1955, a été d’abord offert à la Reine Fabiola qui, à son tour, en a fait don au Syndicat d’Initiative de Bruxelles-Promotion. Ainsi, toutes les personnes qui passent par-là, peuvent admirer ce beau portrait et cela me fait grand plaisir. Etant un excellent portraitiste, mon mari en a exécuté, rien qu’aux Pays-Bas, une cinquantaine.

Mon mari m’a quittée le 30 mai 2000

Pour finir, j’ai trouvé - je ne sais plus où – ces quelques lignes qui vont suivre. C’est tellement vrai que j’aurais pu les écrire moi-même. Qu’elles soient les mots de la fin de ces mémoires.

Je suis très amoureuse d’un artiste.
Il passe ses journées à peindre et à écrire.
Ses cachets varient d’un mois à l’autre, avec lui
Aucun jour ne se ressemble et c’est grisant.
Le plus beau cadeau qu’il m’ait fait ? Il a peint mon portrait.
Croyez-moi, ça n’a pas de prix !

Bruxelles - Avril - mai 2015

Lyvia Dengyel-Salgo

Quelques souvenirs

En vacances en Autriche
Lyvia et Tibor Dengyel
Lyvia Dengyel-Salgo et Josyanne Goffin lors de l’exposition des œuvres de Dengyel à l’Institut Balassi à l’occasion du 100e anniversaire de la naissance de l’artiste.
De gauche à droite, Pierre et Josyanne Goffin-Té et Lyvia Dengyel lors de l’exposition des œuvres de Tibor Dengyel à la Banca Monte Paschi Belgio de Bruxelles, À l’occasion du 100e anniversaire de la naissance de l’artiste

Portrait de SM le Roi Baudouin

SM le Roi Baudouin Huile sur toile 70x50
Tableau peint par Tibor Dengyel en 1955

Suivant le souhait exprimé par SM la Reine Fabiola, don par Madame Livia Dengyel-Salgó, veuve de l’Artiste, au Syndicat d’Initiative - Bruxelles Promotion 1886 d’un portrait de SM le Roi Baudouin, réalisé en 1955 par le peintre Hongrois Tibor Dengyel (1913-2000).

De gauche à droite, Mme Livia Dengyel, Mme Adrienne Buranij de l’Institut Culturel Hongrois, Mme et Mr Pierre Goffin, Mme Carine Verstraeten et Mr Emile Dereymaeker du Syndicat d’Initiative – Bruxelles Promotion 1886.

A cette occasion, exposition des œuvres de Tibor Dengyel sous le patronage de L’Ambassade de Hongrie, de Madame Livia Dengyel Salgó, du Syndicat d’Initiative - Bruxelles Promotion 1886, et du Balassi Institute.

Novembre - décembre 2014
La Commanderie
Siège du Syndicat d’Initiative – Bruxelles Promotion 1886

Article paru dans « La Libre Belgique » Jeudi 11 mars 2014

Grâce à elle, un portrait du roi Baudouin restera belge !

Triste coïncidence : alors que la Belgique rend l'ultime hommage à la reine Fabiola, se termine ces samedi 13 et dimanche 14 décembre à la Commanderie, au 17 de la rue de la Chapelle - en face de l'église du même nom - une exposition d'une cinquantaine d'oeuvres du peintre hongrois Tibor Dengyel, avec comme pièce exceptionnelle un portrait du jeune roi Baudouin réalisé en 1955.

"Le peintre Dengyel, décédé à Bruxelles en 2000, avait laissé à sa veuve, Mme Livia Dengyel-Salgó, habitant toujours à Bruxelles, diverses oeuvres dont ce portrait du Roi", explique Pierre Goffin, responsable d’Art Promotion SA qui organise des expositions en Belgique et à l'étranger.

"Ayant fait sa connaissance peu après la mort de son mari, nous nous sommes occupés, par l'intermédiaire de l'ASBL Association pour la promotion artistique d'exposer les oeuvres de son mari. Parmi celles-ci se trouvait le portrait du Roi. Nous avons restauré et encadré ce tableau et proposé à Mme Dengyel de l'offrir au Palais. Puis nous avons évoqué le projet avec Carine Verstraeten du Syndicat d'Initiative lui demandant conseil pour contacter le Palais. La reine Fabiola a accusé réception de sa lettre et a proposé de garder ce tableau au siège du Syndicat d'Initiative, en souvenir de son défunt mari. Ce qui fut fait officiellement lors de la présente exposition..."

Un demi siècle à Bruxelles

Mais qui était donc Tibor Dengyel ? Comme le précise l'historien de l'art Didier Paternoster, Tibor Dengyel, décédé en mai 2000 à Bruxelles, aurait eu 101 ans. A 17 ans, fort de sa passion pour le dessin et la peinture, il entra à l'Académie, puis en 1935, rejoignit Budapest pour y poursuivre ses études artistiques.

Après avoir obtenu une bourse lui permettant d'aller approfondir ses connaissances en Turquie ou en Belgique, il opta pour notre pays où il arriva en 1948. Etabli à Bruxelles, il y poursuivit sa carrière. Excellent connaisseur de l'histoire de l'art, il s'orienta vers la restauration d'oeuvres anciennes. Mais Dengyel fut avant tout un artiste avide de créer et se consacra à une oeuvre toute personnelle.

Un portrait aussi d'Achille Van Acker

Didier Paternoster rappelle ainsi qu' "à son parcours de créateur se superposa une vocation de pédagogue qui l'amena à diriger un cours privé à Ixelles, Auderghem, Woluwe-Saint-Lambert...".

Son univers ? "Des portraits, des paysages, des vues de villes, des types populaires et figures du folklore, nus, bouquets, évocations fantastiques et scènes truculentes de kermesse ou de carnaval"... Pour l'artiste, "l'essentiel n'est pas de dresser un portrait fidèle du lieu, mais d'en souligner les éléments qui font sa beauté et sa particularité. La preuve en est que nombre de paysages sont nés dans l'intimité de l'atelier, et parfois de nombreuses années après la visite de l'artiste".

Prophète en son payd d'adoption

De même, Tibor Dengyel faisait des "portraits classiques mais avec beaucoup de profondeur psychologique. Beaucoup de ses portraits sont des commandes, mais on ne le surprend jamais à flatter le modèle. Au-delà de l'apparence, de la physionomie proprement dite, c'est bien plus l'intériorité qui l'attire." Si on lui doit une cinquantaine de portraits outre-Moerdijk, Tibor Dengyel a peint le roi Baudouin mais aussi le Premier ministre Achille Van Acker.

Ces deux oeuvres ont assis sa réputation dans ce domaine.

A l'occasion du centenaire de sa naissance, trois expositions avaient eu lieu à Bruxelles en 2013 : au siège de la Banca Monte Paschi Belgio, à l'Institut Balassi Brussels et à la Gallery Pictura Aeterna au Petit Sablon.

Ce week-end, on peut le découvrir ces 13 et 14 décembre de 11 à 18 h à la Commanderie.

Christian Laporte, La Libre Belgique, Jeudi 11 mars 2014

Lizst Institute Brussels

Donation, à la Hongrie, par l'ASBL association pour la promotion artistique, d'un portrait de Lyvia Dengyel peint par son mari en 1955.

Huile sur toile – H 140 x L 83 - 1955

Donation à la Hongrie d'un portrait de Lyvia Dengyel-Salgo

Une cérémonie a eu lieu au Liszt Institute Brussels, le 1 juin dernier, à l’occasion de la donation à la Hongrie, par l’Asbl Association la Promotion Artistique, représentée par Josyanne et Pierre Goffin, d’un portrait de Lyvia Dengyel Salgo (1925-2020), épouse du Peintre Hongrois Tibor Dengyel (1913-2000), réalisé par son mari en 1955.

SE Monsieur Tamás Iván Kovács, Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de Hongrie, Madame Natália Oszkó-Jakab, Directrice du Liszt Institute Brussels nous ont fait l’honneur de leur présence.

Allocutions de SE Mr Kovacs, Ambassadeur de Hongrie, de Mme Ozsko-Jakab, Directrice du Liszt Institute Brussels et de Pierre Goffin

La soirée s’est poursuivie par un remarquable concert de musique classique consacré à
Bartok-Lajtha-Brahms
Exécuté par l’ensemble Jozsef Balog & Flash

EDITEUR RESPONSABLE
ASBL ASSOCIATION POUR LA PROMOTION ARTISTIQUE

N° d’identification 13181/94